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quât, nous servait souvent de ses propres mains, et allait nous chercher, dans les armoires du couvent, les liqueurs, le chocolat, et toutes les petites friandises qui lui restaient du dernier vaisseau arrivé d’Espagne. Après le souper, nous montâmes avec eux sur les terrasses du monastère : c’est la promenade habituelle des religieux en temps de peste, et ils restent souvent reclus ainsi pendant plusieurs mois de l’année. « Au reste, nous disaient-ils, cette réclusion nous est moins pénible que vous ne pensez ; car elle nous donne le droit de fermer nos portes de fer aux Arabes du pays, qui nous importunent sans cesse de leurs visites et de leurs demandes. Lorsque la quarantaine est levée, le couvent est toujours plein de ces hommes insatiables : nous aimons mieux la peste que la nécessité de les voir. » Je le compris après les avoir moi-même connus.

Le village de Saint-Jean du désert est sur un mamelon entouré de toutes parts de profondes et sombres vallées dont on n’aperçoit pas le fond. Les flancs de ces vallées, qui font face de tous les côtés aux fenêtres du couvent, sont taillés presque à pic dans le rocher gris qui leur sert de base. Ces rochers sont percés de profondes cavernes que la nature a creusées, et que les solitaires des premiers siècles ont approfondies pour y mener la vie des aigles ou des colombes. çà et là, sur des pentes un peu moins roides, on voit quelques plantations de vignes qui s’élèvent sur les troncs des petits figuiers, et retombent en rampant sur le roc. Voilà l’aspect de toutes ces solitudes. Une teinte grise, tachetée d’un vert jaune, couvre tout le paysage ; du toit du couvent, on plonge de toutes parts sur des abîmes sans fond ; quelques pauvres maisons d’Arabes mahométans et