Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/93

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Comme ces perles d’eau que pleure chaque aurore,
Dont toute la campagne au réveil se colore,
Qui formeraient un fleuve en se réunissant,
Mais qui tombent sans bruit sur le pied du passant ;
Dont le soleil du jour repompe l’humble pluie,
Et qu’aspire en parfum le vent qui les essuie !
Autres temps, autres soins ; à tout fruit sa saison.
Avant que ma pensée eût l’âge de raison,
Quand j’étais l’humble enfant qui joue avec sa mère,
Qu’on charme ou qu’on effraie avec une chimère,
J’imitais les enfants, mes égaux, dans leurs jeux ;
Je parlais leur langage et je faisais comme eux !
J’allais, aux premiers mois où le bourgeon s’élève,
Où l’écorce du bois semble suer la séve,
Vers le torrent qui coule au pied de mon hameau,
Des saules inclinés couper le frais rameau ;
Réchauffant de l’haleine une séve encor tendre,
Je détachais du bois l’écorce sans la fendre,
Je l’animais d’un souffle, et bientôt sous mes doigts
Un son plaintif et doux s’exhalait dans le bois.
Ce son, dont aucun art ne réglait la mesure,
N’était rien qu’un bruit vide, un vague et doux murmure
Semblable aux voix de l’onde, et des airs frémissants
Dont on aime le bruit, sans y chercher le sens ;
Prélude d’un esprit éveillé de bonne heure,
Qui chante avant qu’il chante, et pleure avant qu’il pleure !

Mais ce n’est plus le temps ; je touche à mon midi !
J’ai souffert, et soudain mon esprit a grandi !
Ces fragiles roseaux, jouets de ma jeunesse,
Ne sauraient contenir le souffle qui m’oppresse :
Il n’est point de langage ou de rhythme mortel,
Ou de clairon de guerre, ou de harpe d’autel,
Que ne brisât cent fois le souffle de mon âme ;
Tout faiblit à son choc et tout fond à sa flamme !