Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/16

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reçu une balle dans le bras pendant le combat ; comme sa blessure n’était pas mortelle, les Turcs l’avaient attaché sur un chameau, et, s’étant emparés du cheval, emmenaient le cheval et le cavalier. Le soir du jour où ils devaient entrer à Acre, ils campèrent avec leurs prisonniers dans les montagnes de Saphadt ; l’Arabe blessé avait les jambes liées ensemble par une courroie de cuir, et était étendu près de la tente où couchaient les Turcs. Pendant la nuit, tenu éveillé par la douleur de sa blessure, il entendit hennir son cheval parmi les autres chevaux entravés autour des tentes, selon l’usage des Orientaux ; il reconnut sa voix, et, ne pouvant résister au désir d’aller parler encore une fois au compagnon de sa vie, il se traîna péniblement sur la terre à l’aide de ses mains et de ses genoux, et parvint jusqu’à son coursier. « Pauvre ami, lui dit-il, que feras-tu parmi les Turcs ? tu seras emprisonné sous les voûtes d’un kan avec les chevaux d’un aga ou d’un pacha ; les femmes et les enfants ne t’apporteront plus le lait de chameau, l’orge ou le doura dans le creux de la main ; tu ne courras plus libre dans le désert comme le vent d’Égypte, tu ne fendras plus du poitrail l’eau du Jourdain, qui rafraîchissait ton poil aussi blanc que ton écume : qu’au moins si je suis esclave, tu restes libre ! Tiens, va, retourne à la tente que tu connais ; va dire à ma femme qu’Abou-el-Marsch ne reviendra plus, et passe ta tête entre les rideaux de la tente pour lécher la main de mes petits enfants. » En parlant ainsi, Abou-el-Marsch avait rongé avec ses dents la corde de poil de chèvre qui sert d’entraves aux chevaux arabes, et l’animal était libre ; mais voyant son maître blessé et enchaîné à ses pieds, le fidèle et intelligent coursier comprit, avec son instinct, ce qu’aucune langue ne pouvait lui expliquer : il