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Ils avaient découvert un site encore plus gracieux et plus propre à dresser nos tentes, que tous ceux que nous venions de parcourir : c’était une pelouse d’une herbe aussi fine et aussi touffue que si elle eût été broutée par un troupeau de moutons. Çà et là, disséminés sur cette pelouse, quelques arbustes à large feuille, quelques jeunes touffes de platanes et de sycomores jetaient une tache d’ombre sur l’herbe, pour nous abriter et tenir les chevaux au frais. Le Jourdain, dont le cours n’était qu’à vingt pas, avait creusé un petit golfe peu profond dans le milieu de la clairière, et ses eaux venaient y tournoyer aux pieds de deux ou trois grands peupliers. Une pente accessible menait jusqu’au fleuve, et nous permettait d’y conduire un à un nos chevaux altérés, et d’aller nous y baigner nous-mêmes. Nous dressâmes là nos deux tentes, et nous y fîmes la halte du jour.

Le jour suivant, 2 novembre, nous continuâmes notre route, tirant vers les plus hautes montagnes de l’Arabie Pétrée, quittant et retrouvant le Jourdain, selon les sinuosités de son cours, et nous rapprochant de la mer Morte. Il y a, non loin du cours du fleuve, dans un endroit du désert que je ne saurais comment désigner, les restes encore imposants d’un château des croisés, bâti par eux, apparemment pour garder cette route. Cette masure est inhabitée, et peut servir au contraire à abriter les Arabes en embuscade pour dépouiller les caravanes. Elle produit, au milieu de ces vagues de sable, l’effet d’une carcasse de vaisseau abandonnée sur l’horizon de la mer. En approchant de la mer Morte, les ondulations de terrain diminuent ; la pente incline insensiblement vers le rivage ; le sable devient spongieux, et les chevaux, enfonçant à chaque pas, avancent péniblement.