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rapportés par des voix étrangères et dans une langue nouvelle, sur ces mêmes collines qui les avaient inspirés ; et je voyais sur les terrasses du couvent quelques figures de vieux moines de terre sainte aller et venir, leur bréviaire à la main, et murmurant ces prières murmurées déjà par tant de siècles dans des langues et dans des rhythmes divers.

Et moi j’étais là aussi pour chanter toutes ces choses ; pour étudier les siècles à leur berceau ; pour remonter jusqu’à sa source le cours inconnu d’une civilisation, d’une religion ; pour m’inspirer de l’esprit des lieux et du sens caché des histoires et des monuments, sur ces bords qui furent le point de départ du monde moderne, et pour nourrir, d’une sagesse plus réelle et d’une philosophie plus vraie, la poésie grave et pensée de l’époque où nous vivons !

Cette scène, jetée par hasard sous mes yeux, et recueillie dans un de mes mille souvenirs de voyages, me présenta les destinées et les phases presque complètes de toute poésie : les trois esclaves noires berçant les enfants avec les chansons naïves et sans pensée de leur pays, la poésie pastorale et instructive de l’enfance des nations ; la jeune veuve turque pleurant son mari en chantant ses sanglots à la terre, la poésie élégiaque et passionnée, la poésie du cœur ; les soldats et les moukres arabes récitant des fragments belliqueux, amoureux et merveilleux d’Antar, la poésie épique et guerrière des peuples nomades ou conquérants ; les moines grecs chantant les psaumes sur leurs terrasses solitaires, la poésie sacrée et lyrique des âges d’enthousiasme et de rénovation religieuse ; et moi, méditant sous ma tente