Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/61

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tan et sa propre destinée : il avança. Deux victoires éclatantes et mal disputées, celle de Homs en Syrie et celle de Konia en Asie Mineure, le rendirent maître absolu de l’Arabie, de la Syrie, et de tous ces royaumes de Pont, de Bithynie, de Cappadoce, qui sont aujourd’hui la Caramanie. La Porte pouvait encore lui couper la retraite, et, débarquant des troupes sur ses derrières, reprendre possession des villes et des provinces, où il ne pouvait laisser des garnisons suffisantes ; un corps de six mille hommes, jeté par elle dans les défilés du Taurus et de la Syrie, faisant d’Ibrahim et de son armée une proie, l’emprisonnait dans ses victoires. La flotte turque était infiniment plus nombreuse que celle d’Ibrahim ; ou plutôt la Porte avait une flotte immense et magnifique, Ibrahim n’avait que deux ou trois frégates. Mais, dès le commencement de la campagne, Kalil-Pacha, jeune homme aux mœurs élégantes, favori du Grand Seigneur, et nommé par lui capitan-pacha, s’était retiré de la mer devant les faibles forces d’Ibrahim ; je l’avais vu, de mes yeux, quitter la rade de Rhodes et s’enfermer dans la rade de Marmorizza sur la côte de Caramanie, au fond du golfe de Macri. Une fois avec ses vaisseaux dans ce port dont la passe est prodigieusement étroite, Ibrahim, avec deux bâtiments, pouvait l’empêcher d’en sortir. Il n’en sortit plus en effet, et tout l’hiver, où les opérations militaires furent les plus importantes et les plus décisives sur les côtes de Syrie, les vaisseaux d’Ibrahim parurent seuls sur ces mers, et lui transportèrent sans obstacles des renforts et des munitions ; et cependant Kalil-Pacha n’était ni traître ni sans valeur : mais ainsi vont les affaires d’un peuple qui demeure immobile quand tout marche autour de lui. La fortune des nations, c’est leur génie ; le gé-