Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 8.djvu/14

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de Pétroni ne fussent pas privés de la terre servienne, quand la voix et les coups de fusil des Bosniaques lui annoncèrent l’approche de leurs ennemis, et le supplice inévitable que leur vengeance allait savourer. « Mon père, dit-il, décidez-vous ; nous n’avons plus qu’un instant. Levez-vous, jetez-vous dans le fleuve : mon bras vous soutiendra, mon corps vous couvrira contre les balles des Osmanlis ; vous vivrez, vous attendrez de meilleurs jours sur le territoire d’un peuple ami. » Mais l’inflexible vieillard, que son fils s’efforçait en vain d’emporter, résistait à tous ses efforts, et voulait mourir sur le sol de la patrie. Kara-George, désespéré, et ne voulant pas que le corps de son père tombât entre les mains des Turcs, se mit à genoux, demanda la bénédiction du vieillard, le tua d’un coup de pistolet, le précipita dans la Save, et, se jetant dans le fleuve, passa lui-même à la nage sur le territoire autrichien.

Peu de temps après, il rentra en Servie comme sergent-major d’un corps franc. Mécontent de n’avoir pas été compris dans une distribution de médailles d’honneur, il quitta ce corps, et se jeta, comme heiduk, dans les montagnes. S’étant réconcilié avec son chef, il l’accompagna en Autriche quand la paix fut conclue, et obtint une place de garde forestier dans le monastère de Krushedal. Bientôt, las de ce genre d’existence, il rentra en Servie, sous le gouvernement de Hadgi-Mustapha. Il redevint pasteur ; mais il reprit les armes toutes les fois qu’une émotion nouvelle souleva une partie du pays.

Kara-George était d’une haute stature, d’une constitution robuste, d’une figure noble et ouverte. Silencieux et pensif