Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 8.djvu/309

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je reconnus presque Fatalla en le voyant pour la première fois, tant il est bien l’homme de son récit et de ses aventures. C’est un grand vieillard au profil mince, au nez aquilin, aux traits fins et mobiles : son œil doux et vif brille de l’intelligence et de la divination de l’interprète ; sa démarche mêle les gestes cérémonieux du drogman à l’allure brusque et rapide du voyageur. Il avait alors soixante ans ; mais sa figure, brûlée par le soleil de la vie nomade, marquait dix ans de plus. Le désert use l’homme comme la nature, et semble le frapper des rides et de la sécheresse de son sol.

Fatalla était vêtu de ce costume maronite dont l’indigence même a sa majesté, et que le regard du passant salue comme une robe de prêtre, quand il traverse les rues de nos villes. Il portait ce large turban syrien aux plis sombres, qui couronne si bien la vieillesse, et qui fait aux cheveux blancs comme une tiare de vénération et de dignité ; un large cafetan bleu dont la ceinture éclatante était agrafée d’un poignard, et les babouches à pointes recourbées du voyageur. Sa barbe grise, une de ces barbes de patriarche que les Orientaux baisent en s’inclinant, et sur lesquelles ils jurent comme sur les ornements sacerdotaux de la vieillesse, descendait en touffes épaisses jusque sur sa poitrine. C’était encore l’intrépide et aventureux compagnon de M. Lascaris, mais mûri d’années de sérénité et d’expérience.

Dès le premier jour de son arrivée à Paris, Fatalla s’était informé avec empressement de ma demeure. Il voulait non-seulement remercier celui qui avait payé son humble