Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 8.djvu/313

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tribu ! Où est le temps où elle commandait trente mille tentes, et où les poëtes l’appelaient la fleur de l’Arabie ? Maintenant nos ennemis l’appellent la mendiante du désert, car elle est faible et pauvre entre les plus pauvres. Elle, qui autrefois parcourait la Syrie au galop de dix mille chevaux, c’est à peine si maintenant elle se traîne jusqu’en Mésopotamie. On dirait un cavalier sans sa monture. À la mort du drayhy, poursuivaient-ils, toutes les tribus alliées qui marchaient en ordre sous ses drapeaux se sont divisées comme les djérids du faisceau que tu montrais aux chefs d’El-Fedhan. Son fils Sadhoun est mort aussi : il valait moins que son père, mais dix mille fois plus encore que son petit-fils Sahadoun qui nous gouverne aujourd’hui ; car, ajoutaient-ils en secouant la tête, tout décroît et dégénère. »

» Ces paroles m’affligèrent comme si j’avais appris des morts et des malheurs de famille, et la nuit se passa dans les regrets et les souvenirs du passé. Le lendemain, au point du jour, je pris congé de mes hôtes, et, accompagné d’un Bédouin à cheval, je m’enfonçai dans le désert, explorant tous ses sentiers et tous ses horizons, pour y découvrir de nouvelles tribus. Après un jour et une nuit de marche, j’arrivai à une grande plaine où campaient huit tribus, toutes de mes amis et des fils de mes hôtes. Hélas ! j’y retrouvai les mêmes changements et les mêmes vides. Les vieux scheiks étaient morts ; les jeunes gens que j’avais connus étaient déjà des vieillards, et des hommes à barbe noire venaient en s’inclinant me baiser la main, en m’appelant Maître : c’étaient les petits enfants auxquels j’avais autrefois appris à lire sur les genoux de leurs mères. Tous m’interrogèrent sur Scheik-Ibrahim, car sa mémoire était restée