Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 8.djvu/321

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au padischah la tête du Wahabi Abdallah-Ebn-Sihoud, roi du Neggde, de l’Hégias et de l’Yémen, l’ennemi des Osmanlis et le blasphémateur du Prophète. C’est le pacha d’Égypte qui l’envoie prisonnier au sultan. Demain, sa tête sera au sérail. Ainsi périssent tous les ennemis du Prophète ! » Cette nouvelle me frappa de stupeur, et je rentrai chez moi pensif, louant Dieu et songeant au caprice de la destinée, qui m’avait conduit comme par la main à Constantinople pour voir mourir ce roi des rois, dont j’avais été, moi chétif giaour, le prisonnier et l’esclave. Le dernier de ses cawas n’aurait pas donné alors une piastre de ma tête, et c’était moi qui allais voir tomber la sienne !

» En effet, le lendemain le bruit se répandit dans Constantinople que le sultan, dès qu’il avait appris le débarquement du Wahabi, avait ordonné qu’on lui tranchât la tête, avant le coucher du soleil, sur la place de l’Atméidan. Une foule immense de toutes les nations et de tous les costumes, Arméniens, Grecs, Juifs, Européens, courait déjà par toutes les rues au lieu de l’exécution ; car ce n’est pas un spectacle vulgaire que celui d’un roi décapité par un bourreau !

» À midi, le cortége déboucha sur la place avec un grand bruit d’armes et de chevaux. Le Wahabi, tête nue, les mains liées, les pieds enchaînés, marchait au milieu d’un groupe de bostangis et de cavaliers à longues lances. Je le reconnus malgré son grand âge, car les années n’avaient fait que durcir ses traits et blanchir sa barbe, et son œil lançait encore ce regard de feu qui m’avait fait pâlir quand j’avais comparu au pied de son trône. Arrivé au centre de