Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 9.djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Entre la ville haute et la ville basse s’élève une tour à l’entrée du pont qui les sépare. Cette tour pose sur une voûte massive, sombre et étroite, que les voitures sont obligées de franchir au pas et où le moindre obstacle peut entraver le passage. Reste de la féodalité, piége sinistre où la noblesse prenait jadis les peuples, et où, par un retour étrange, le peuple devait prendre un jour toute une monarchie. Les voitures sont à peine engagées dans l’obscurité de cette voûte que les chevaux, effrayés par une charrette renversée et par des obstacles jetés devant leurs pas, s’arrêtent, et que cinq ou six hommes sortant de l’ombre, les armes à la main, s’élancent à la tête des chevaux, aux siéges et aux portières des voitures, et ordonnent aux voyageurs de descendre et de venir, à la municipalité, faire vérifier leurs passe-ports. L’homme qui commandait ainsi à son roi, c’était Drouet. À peine arrivé de Sainte-Menehould, il était allé arracher à leur premier sommeil quelques jeunes patriotes de ses amis, leur faire part de ses conjectures et leur souffler l’inquiétude dont il était dévoré. Peu sûrs encore de la réalité de leurs soupçons ou voulant réserver pour eux seuls la gloire d’arrêter le roi de France, ils n’avaient pas averti la municipalité, éveillé la ville, ni ameuté le peuple. L’apparence d’un complot flattait plus leur orgueil ; ils se croyaient à eux seuls toute la nation.

À cette apparition soudaine, à ces cris, à la lueur de ces sabres et de ces baïonnettes, les gardes du corps se lèvent de leurs siéges, portent la main sur leurs armes cachées et demandent d’un coup d’œil les ordres du roi. Le roi leur défend d’employer la force pour lui ouvrir un passage. On retourne les chevaux et on ramène les voitures, escortées par Drouet et ses amis, devant la maison d’un épicier