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JOURNAL D’UN BIBLIOPHILE

la ville, pour me procurer trois livres : un abécédaire, une grammaire et un dictionnaire, afin d’acquérir, avec l’aide de ma femme, certains rudiments d’instruction qui me permettraient de lire convenablement et de signer mon nom. J’avais la ferme intention de me mettre à l’œuvre immédiatement, mais : « l’homme propose et Dieu dispose ! »

« Le soir que je reçus mes livres d’étude, j’y jetai un coup d’œil de satisfaction, pris une première leçon et les déposai sur ma table avant de me mettre au lit.

« J’avais compté sans le chat et le chien. Durant la nuit, le chat, en tirant sur le tapis, fit glisser mon abécédaire et ma grammaire sur le parquet, et, le matin, mon chien, encore très jeune et ignorant lui aussi des beautés de l’instruction, s’était mis à éventrer, à effeuiller, à déchirer, à déchiqueter et à éparpiller en atomes ces précieux amis d’un jour.

« Pour compléter le désastre, le lendemain, au dîner, ma femme, en servant la soupe, sortit du chaudron un objet qui était loin d’être un morceau de lard salé : c’était mon dictionnaire, que mon jeune fils, âgé de trois ans, y avait jeté, sans que sa maman en eût connaissance. Mon dictionnaire ne contenait plus qu’un seul mot : « bouillie ».

« Il me fallait attendre une autre occasion pour remplacer ces livres de malheur.

« D’ailleurs, il était trop tard, car je devais pren-


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