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pour gagner sa vie et la mienne. Elle reprisait les filets de pêche, faisait des chaussures, cousait et filait. En retour elle recevait du poisson, du lard. D’autres lui apportaient le bois pour se chauffer. Les marchands lui donnaient du drap, du sucre, de l’huile pour sa lampe, et parfois aussi une ou deux pièces d’argent qu’elle serrait avec joie dans un tiroir de la vieille commode aux poignées usées… J’étais toujours bien vêtu, mieux que les autres enfants de mon âge. Elle prenait du temps sur ses nuits pour coudre mes habits, et même des fois, je crois qu’elle ne se couchait pas du tout. Je la voyais toujours à l’ouvrage, avec une aiguille à la main, ou bien, assise à son rouet et filant…

Ah ! ce que je la connaissais la voix du rouet, cette voix ouatée qui berce comme une chanson et qui endort comme un rêve !… « Ô voix berceuse du rouet, que ne résonnez-vous encore à mes oreilles comme au temps où j’étais un petit garçon à l’âme pure et aux longs cheveux frisés ! » Toute l’année, en toute saison, du matin au soir, et parfois du soir au matin, ma grand’mère filait. L’hiver, elle filait près de la fenêtre pour voir clair plus longtemps et pour ménager