Page:Lamontagne-Beauregard - Légendes gaspésiennes, 1927.djvu/114

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
118
LÉGENDES GASPÉSIENNES.

tristes jours où le premier mari, le disparu, négligeait son ouvrage et buvait plus que de raison… Mais elle l’avait aimé tout de même et l’avait beaucoup pleuré… Alors, chassant ces sombres pensées, elle se reprenait à aimer davantage le bon et vaillant garçon qui lui donnait une existence paisible et qui ne faisait pas de différence entre les enfants de l’autre et les siens à lui…

Or, un jour, vers la fin de l’été, l’Gros, comme d’habitude, dévorait des yeux, dans la fenêtre, les bateaux qui passaient sur le fleuve. Il les comptait, chacun son tour, sur ses doigts longs et secs, qui résonnaient lugubrement contre la vitre. Sa chemisette blanche au collet retombant, entr’ouverte sur sa poitrine, laissait voir une respiration faible et lente, et un petit cou décharné. Son visage triste et douloureux était par moments illuminé des éclairs de ses yeux noirs singulièrement beaux. Il regardait avec obstination les fines goélettes glissant sur l’eau bleue, les lourdes et rustiques barges dont le poids alourdit la marche, et, dans les remous du large, les bandes de marsouins qui na-