Page:Lampryllos - La Mystification fatale, 1883.djvu/108

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Constantinople, il n’y a pas, je crois, d’exemple d’un travestissement historique plus complet que celui qu’ont subi, pendant longtemps, ses annales et la manière dont on les appréciait. Par une fortune bizarre, deux ordres de préjugés, aussi aveugles l’un que l’autre, se sont trouvés, d’accord pour le caricaturer : les préjugés catholiques exagérés, vivant sur de vieilles rancunes et des malentendus qui remontent aux Croisades, et ne pouvant pas admettre la puissance de vie spirituelle et civilisatrice qu’a su conserver, au travers de toutes ses vicissitudes, une Église séparée de l’unité romaine ; les préjugés philosophiques du XVIIIme siècle, incapables de comprendre un Empire chrétien avant tout, et presque, semi-ecclésiastique, où les grandes questions de théologie agitaient profondément les esprits, où les évêques et les moines ont toujours tenu un sang prépondérant. De là est sorti le point de vue aussi faux qu’injuste qui a, pendant plusieurs siècles, dominé les esprits et qui a trouvé sa dernière expression dans le livre beaucoup trop vanté de Gibbon. Ce n’est que d’hier que l’on commence à rendre justice au monde byzantin, à comprendre l’étrange et ridicule inconséquence qu’il y avait dans les jugements consacrés à son égard, lorsqu’on le dépeignait comme le dernier terme de l’affaissement moral, de la corruption sénile et de l’imbécillité, puisque, tout à coup, on racontait qu’il avait suffi de l’arrivée des quelques fugitifs qui gagnèrent l’Italie en quittant Byzance, prise par les Turcs, pour changer la face de la société occidentale, y rallumer le flambeau des études et y produire le mouvement de la Renaissance. On découvre aujourd’hui, un peu tard et avec un certain étonnement, les grandeurs de l’histoire byzantine, et les travaux des érudits hellènes, des Paparrhigopoulos, des Zambellis et des Sathas, ont fortement contribué à cette heureuse révolution dans les idées. On s’aperçoit, pour la première fois, de ce grand fait que l’empire de Constantinople a été pendant neuf siècles le rempart toujours armé, toujours assiégé et toujours résistant de l’Europe chrétienne et civilisée contre le flot de la barbarie la plus dangereuse ; de celle qui n’était pas susceptible de la même conversion que les Germains, celle des Slaves, des Bulgares et surtout des Musulmans. Nous autres occidentaux, nous sommes fiers, et à bon droit, du souvenir des croisades. Mais qu’est-ce que cet épisode si court, et qui n’a rien produit de durable, à côté de la lutte non moins acharnée, non moins héroïque, non moins