Page:Lampryllos - Le Turban et la Tiare, 1865.djvu/7

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domination du croissant à la délivrance de la croix ; dans tous les cas, ils s’accommodent fort bien de la domination musulmane, quand ils croient qu’elle peut servir d’instrument à la perpétration de leurs projets.

Mais ce n’est pas là l’objet principal qui nous a fait prendre la plume ; nous n’y avons touché qu’incidemment : il en est un autre que nous nous sommes proposé et qui, s’il ne peut pas tourner complètement à l’honneur du turban, pourrait bien tourner à la honte et à la confusion de la tiare. Est-ce seulement d’une bouche grecque qu’est sorti ce cri de désespoir : Mieux vaut le Turc que le Pape ! Eh ! de quelle bouche chrétienne n’est-il pas sorti comme un signe d’immense détresse ? À une époque peu éloignée de Notaras, en 1526, sous le pontificat du fameux Clément VII, un des personnages les plus distingués de la république de Florence, Francesco Vettori, considérant l’immense corruption du clergé catholique et l’oppression atroce qu’il exerçait sur toute l’Europe, écrivait au Secrétaire florentin : « Je ne veux plus cacher mon erreur. Je regarderais comme une des meilleures nouvelles que nous puissions recevoir celle qui nous apprendrait que les Turcs, ayant conquis la Hongrie, marchent sur Vienne ; que les luthériens sont vainqueurs en Allemagne ; que les Maures que César veut chasser d’Aragon et de Valence tiennent tête, et que non-seulement ils soient capables de se défendre, mais encore de prendre l’offensive. »[1] Est-ce un étranger seulement, un Italien, qui fait ces vœux horribles pour la Hongrie et l’Allemagne ? Non : c’est de la bouche de bons patriotes hongrois, de celle de la Diète elle-même qu’est sorti le même cri : Mieux le turban que la tiare soutenant l’Autriche, et soutenue par elle ! Le protestantisme, qui avait pénétré en Hongrie à la faveur de l’irritation produite par les méfaits du clergé local soutenu par les papes, s’y était répandu, sous toutes ses variétés, au point d’embrasser la majorité presque de la nation : par suite, les Diètes avaient été amenées à déclarer la liberté de tous les cultes chrétiens et leur égalité devant les lois ; mais l’austropapisme, par ses machinations, ses corruptions et ses promesses fallacieuses, avait su tellement prendre le dessus[2] ; il était tellement parvenu à opprimer cette nation dans ses aspirations et nationales et religieuses, que, dans deux Diètes, il fut déclaré que la suzeraineté du sultan était moins insupportable aux Magyars que celle de l’Autriche[3].

Un évêque catholique, le cardinal primat Colonitz, grand chancelier du royaume, disait de la Hongrie : « Nous la ferons esclave, nous l’affamerons,

  1. N. Machiavelli, Lettere famigliari, lett. 53e.
  2. La Hongrie, par Ch. L. Chassin (1856), pages 48-50.
  3. La Hongrie, par Ch. L. Chassin, pages 129 et 202-204. Pour cette comparaison, l’auteur renvoie aux articles 2, 3, 4, 5 du décret de 1559 et aux articles 34, 37 du décret de 1563.