Page:Landes - Contes et légendes annamites, 1886.djvu/157

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le voleur entendit le discours de ces deux mendiants ; il se repentit aussitôt, abandonna son métier et se retira dans une pagode pour faire pénitence. Le supérieur, le voyant ignorant et incapable de psalmodier les hymnes, le chargea de l’entretien du feu ; il ne devait pas le laisser éteindre, car la pagode était isolée et l’on n’avait pas de voisins à qui en demander.

Il obéit au supérieur et s’acquitta de son emploi avec une grande exactitude. Mais une nuit, un mauvais bonze voulant lui faire du tort éteignit le feu. Quand le gardien du feu se réveilla et le trouva éteint et s’empressa de courir au village voisin pour en demander. Mais au milieu du chemin il rencontra un tigre qui lui barrait le passage. Le bonze dit au tigre : « Dévorez-moi, j’y consens ; mais laissez-moi auparavant aller chercher du feu pour la pagode ; je reviendrai ensuite ici pour que vous me mangiez. » Le tigre consentit à cette proposition, et le bonze, après avoir rapporté le feu à la pagode, prévint le supérieur et alla se rendre au tigre. Celui-ci lui dit : « Je suis vieux, j’ai perdu toutes mes dents, tes os seraient trop durs pour moi ; monte sur un arbre et laisse-toi tomber, afin de te briser les os. » Le bonze lui obéit. Mais le Ciel et le Bouddha eurent pitié de l’héroïsme de ce bonze ; son corps fut arrêté au passage ; il disparut et fut transformé en Bouddha.

Le mauvais bonze, voyant que par cette voie son camarade était parvenu au degré suprême, alla demander au supérieur de la pagode de lui confier l’emploi de gardien du feu. Une nuit il fit semblant de s’oublier et le laissa s’éteindre ; il courut alors au village pour chercher du feu, rencontra le tigre sur le chemin, lui fit la même demande que l’autre bonze et, comme lui, revint se faire manger par le tigre. Mais quand il se fut laissé tomber de l’arbre rien ne l’arrêta en chemin ; il se cassa les os et fut métamorphosé en pot à chaux. Le tigre repu disparut.