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trois cents ans ? » Il commanda donc aux démons de se cacher et avança tout seul jusqu’au rocher où Lù vong était occupé à pêcher. Il le salua des deux mains jointes et Lù vong lui demanda ce qu’il venait faire là. L’autre, se prosternant, lui dit : « Autrefois mon père, en se promenant sur la cote, trouva un grand rocher couvert de lichens de tous côtés. Il regarda dans l’intérieur et vit que ce rocher était de plusieurs couleurs, de sorte que les poissons venaient s’y cacher en grand nombre. Grâce à cela mon père devint riche. Aujourd’hui mon temps est venu, mais, je ne sais comment, ce rocher a disparu ; je l’ai cherché partout sans le trouver. L’on dit cependant qu’il a remonté le courant jusqu’ici ; je vous supplie de me le montrer. » Lù vong s’emporta et lui dit : « Tu es fou ! Voilà trois cents ans que je vis et que je viens pêcher ici, qui jamais a vu un rocher remonter le courant ? »

Aussitôt qu’il eut dit ces mots, l’autre appela les démons et leur dit : « C’est bien véritablement Lù vong. » Les démons le saisirent et il mourut à l’instant.

C’est ainsi que le vieillard fut joué par le jeune homme[1].



  1. Il peut se faire qu’un individu reste en vie au delà du temps primitivement marqué par les destins, parce que les messagers du roi des enfers, qui sû, se trompent de nom et saisissent à sa place un individu dont la destinée était de vivre encore. Dans ce cas l’erreur est reconnue aux enfers et le mort revient à la vie. C’est l’explication que donnent les indigènes des cas de mort apparente. Mais ici Lù vong avait été simplement oublié dans le livre des destinées, et sa mort ne paraît pas avoir dû profiter en rien à son dénonciateur.