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faisait son ouvrage, après quoi elle mâchait du riz pour l’enfant, et la nuit le faisait dormir dans ses bras.

Une nuit elle se lamentait en secret : « Ciel ! Bouddha ! disait-elle, voyez mon misérable sort ; femme et innocente j’ai été condamnée pour avoir essayé de tuer mon mari. Entrée dans le monastère j’ai été poursuivie par les novices ; il m’a fallu changer de vêtements et venir dans cette pagode, et maintenant je suis encore calomniée ! Boddhisativa Quan âm[1], je vous prie de manifester mon innocence, je suis frappée injustement comme vous l’avez été. »

Or, le supérieur faisait une ronde dans la pagode au milieu de la nuit et l’entendit dire qu’elle s’était travestie. Revenu dans sa cellule il réfléchit qu’elle était délicate et réservée dans toutes ses allures ; elle avait donc dit la vérité, mais il ne savait comment faire pour la faire reconnaître et il avait peur que lorsque l’on aurait découvert que c’était une femme on ne se moquât de la pagode. Aussi n’osa-t-il rien dire et se contenta-t-il de la fournir d’argent et de riz pour élever l’enfant.

Quand cet enfant eut six ans, le supérieur le reprit dans la pagode, et Mâu resta seule près de la grande porte. Elle mourut sans que personne le sût de trois jours ; ce fut l’enfant qui, sortant pour aller la voir, la trouva froide, mais sans aucune marque de corruption. Il se mit à pleurer et les gens de la pagode allèrent avertir le supérieur. Celui-ci dit alors qu’il avait

  1. La déesse Quan in, identifiée à Avalôkitêsvara. D’après la tradition chinoise, c’était la fille d’un empereur de la dynastie Chàn qui vivait en 696 avant notre ère. Ayant refusé de se marier, elle fut d’abord reléguée et ensuite étranglée par ordre de son père, le glaive n’ayant pu réussir à mettre fin à ses jours. Elle descendit aux enfers, mais ceux-ci furent, par sa présence, changés en un paradis. Le roi des enfers la rendit alors à la vie et elle fut transportée sur une fleur de lotus dans l’île de P’oo t’oo où elle a encore aujourd’hui un sanctuaire célèbre. (Eitel, Handbook, p. 20.)