Page:Landes - Contes et légendes annamites, 1886.djvu/64

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Chantant et ramant, ils arrivèrent au rivage où les soldats portèrent trois palanquins tout en battant du tambour et en agitant les pavillons. Du fourré où il était caché, le pêcheur, ne voyant pas bien ce qu’ils faisaient, sortit pour se mettre dans un endroit découvert, mais les seigneurs, assis dans le bateau doré, l’aperçurent et envoyèrent des soldats pour le saisir. « Quand es-tu venu ici ? lui demandèrent-ils. — Je suis un pêcheur, répondit-il, et, jusqu’ici, j’avais coutume d’aller pêcher dans la mer. Je ne sais pourquoi, ce matin, j’ai eu la pensée de venir ici ; j’ai pêché toute la matinée sans rien prendre, et, comme le soleil se faisait chaud, je suis entré dans le fourré pour me reposer. Regardant vers le lac, j’en vis sortir à deux reprises des géants au visage terrible qui regardèrent de tous les côtés sans m’apercevoir. J’eus peur et je n’osai pas me montrer ; mais maintenant à la vue de ce beau spectacle, je suis sorti pour le regarder. Je vous supplie de me pardonner. »

Le maître lui dit : « Soit ! je te pardonne et je vais te laisser partir, mais tu vas ouvrir la bouche et avaler un sabre aiguisé aux deux extrémités. Tu vivras cent ans, mais tu ne devras raconter à personne ce que tu as vu. Si tu le fais, le sabre sortira de ton corps et tu mourras. Je te donne, en outre, une marmite de cuivre ; trois fois par jour, tu n’auras qu’à y mettre de l’eau et le riz s’y trouvera tout seul ; tu n’auras plus besoin d’aller pêcher pour vivre et tu ne mourras qu’à l’âge de cent ans. » Ce seigneur fit ensuite décapiter les gardes qui avaient fait la ronde pour les punir de leur négligence.

Le pêcheur revint chez lui ; à partir de ce moment, sa marmite lui fournissait sa nourriture. Il acquit de l’aisance et vécut ainsi jusqu’à l’âge de quatre-vingt-dix ans sans oser parler à personne de ce qui lui était arrivé. Un jour, qu’il offrait un sacrifice aux esprits de ses ancêtres et que toute sa famille était rassemblée autour de lui, il se mit à penser ; j’ai quatre-vingt--