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Soit un individu, par exemple, qui en prévision de sa mort met chaque année 5.000 francs de côté pour que ses enfants ne se trouvent pas sans ressources quand il mourra. La probabilité est qu’il mourra dans dix ans, et que ses enfants ainsi auront 50.000 francs. Mais il peut mourir dans cinq ans, ne laissant que 25.000 francs, et il peut mourir dans quinze ans, laissant 75.000 francs. Or ses enfants perdraient plus à n’avoir que 25.000 francs qu’ils ne gagneraient à avoir 75.000 francs. Notre individu trouvera donc un avantage à promettre de verser à une compagnie 5.000 francs par an sa vie durant, voire un peu plus, moyennant que ses enfants soient assurés de recevoir 50.000 francs à sa mort. Et pour la compagnie, le risque n’existe pour ainsi dire pas, parce qu’elle fait beaucoup d’affaires semblables, et que les risques, dans ces conditions, se neutralisent presque complètement les uns les autres.

Nous avons dit l’essentiel de ce qu’il y avait à dire, ici, du risque. On a pu voir, par quelques applications de la théorie du risque qui ont été indiquées, combien cette théorie était importante pour l’économique. On rencontrera d’autres applications encore plus loin, notamment quand il sera parlé de la rémunération du capital et du gain des entrepreneurs.


V. — L’ « homo oeconomicus » et l’homme réel[1].

1. Les objections à la conception de l’ « homo oeconomicus ».

55. — Nous nous sommes efforcés, dans la section précédente, de déterminer comment notre intérêt veut que nous réglions notre activité économique. L’importance pratique d’une telle recherche apparaît de suite. Mais quelle importance théorique présente-t-elle ? dans quelle mesure nous aidera-t-elle à comprendre les faits économiques ? En d’autres termes, quelle est la valeur scientifique de l’hypothèse de l’homo oeconomicus ?

De cette hypothèse, presque tous les économistes ont fait usage, du moins presque tous ceux des économistes qui ont prétendu faire œuvre scientifique. Mais c’est surtout l’école dite classique qui s’est appuyée sur elle. Les économistes de l’école classique n’ont jamais cru, ni dit que l’homme réel fût tout à fait pareil à l’homo oeconomicus. Ils ont même pris en considération, dans leurs ouvrages, tels ou tels faits que l’expérience révèle et qui sont en désaccord avec la conception de l’homo oeconomicus. Mais ils n’ont introduit ces faits dans leurs théories, ce semble, que lorsqu’il était par trop difficile de faire autrement, et ils leur ont donné une place aussi petite que possible.

  1. Consulter, à propos de cette section, Wagner, Grundlegung, §§ 21-53 (trad. fr., t. 1), Schmoller, Grundriss, §§ 11-21 (trad. fr., t. 1), Philippovich, Grundriss, 1er vol., § 34.