Page:Landry, Manuel d’économique, 1908.djvu/139

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représentations, en vertu de la force impulsive que possède toute image, concourront à nous faire rechercher celui des deux plaisirs qui s’offre à nous le premier : ce plaisir se trouvera ainsi avantagé[1].

La dépréciation des utilités futures n’est pas nécessairement proportionnelle à la distance. Si un individu, estimant à 100 une utilité qui lui est fournie immédiatement, n’estime qu’à 97 — ce qui constituerait une dépréciation de 3 % — une utilité égale qui lui serait fournie dans un an, la même utilité fournie après 2 ans ne sera pas toujours estimée par lui à 94 — ce qui constituerait une dépréciation de 6 % — : il l’estimera peut-être à 93, ou à 95.

La courbe de la dépréciation des utilités futures présente ordinairement une certaine forme : on aime beaucoup mieux une utilité à percevoir immédiatement qu’une utilité à percevoir après un an ; on ne fait plus une différence aussi forte entre une attente de 3 ans, par exemple, et une attente de 5 ans.

Notre courbe, cependant, varie grandement d’une société à l’autre, en raison des différences de caractère qui existent entre les peuples, en raison surtout du degré de civilisation, du développement intellectuel où chacun d’eux est parvenu[2]. Et dans une même société, elle peut varier d’une façon notable d’un individu à un autre. Si pour un individu, par exemple, une attente d’un an entraîne une dépréciation de 3 %, pour un deuxième — que nous supposons être un prodigue — la dépréciation pourra être de 20 %. Et ce n’est pas tout. Si pour le premier individu une attente d’un an entraîne une dépréciation de 3 % et une attente de 2 ans une dépréciation de 4,5 %, pour le deuxième individu, une attente d’un an entraînant une dépréciation de 20 %, une attente de 2 ans entraînera une dépréciation, non pas nécessairement de 30 % mais peut-être de 21 %. La dépréciation déraisonnable que subissent les utilités futures est un fait très important. C’est une des causes qui donnent naissance au phénomène de l’intérêt du capital. Elle a aussi ce résultat que nous accordons moins d’attention que nous ne devrions aux conséquences — surtout aux conséquences éloignées — de nos « consommations », même alors que la passion ne nous détourne pas, comme on a vu qu’elle fait, de les prendre en considération. Elle explique, encore, que des ouvriers acceptent d’exer-

  1. Nous ne parlons pas ici de l’incertitude plus grande qui s’attache, en règle générale, aux utilités dont la perception est plus éloignée, ni de la pensée de notre mort — dont la date nous est ordinairement inconnue — : il y a là deux causes qui font déprécier les utilités d’autant plus qu’elles sont plus éloignées ; mais la dépréciation des utilités futures, pour autant qu’elle procède de ces causes, n’est nullement déraisonnable.
  2. On lira avec profit, là-dessus, les New principles de Raë (Sociolagical theory of capital, chap. 6-7).