Page:Landry, Manuel d’économique, 1908.djvu/22

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l’économique contribuer au bonheur des hommes, il faut savoir en quoi ce bonheur consiste. En outre, quand on conçoit des méthodes pour accroître le bien-être général, on doit se demander toujours si le caractère, les dispositions, les sentiments des hommes qui devront participer à l’application de ces méthodes, ou que cette application concernera, permettront d’obtenir tous les résultats imaginés. Ce n’est pas sans quelque raison qu’on a reproché aux réformateurs sociaux d’être tombés, bien souvent, dans l’utopie pour ne pas avoir tenu compte assez des faiblesses humaines.

10. Avec le droit. — Arrivons à la question des rapports de l’économique avec le droit.

Qu’il y ait de tels rapports dans l’étal présent des choses, c’est ce qui apparaît immédiatement. Une grande partie de notre Code civil s’occupe d’institutions essentiellement économiques, comme la propriété et les autres droits réels, les successions, etc. Et tout le droit commercial se rapporte à des opérations économiques[1]. Ainsi le juriste a besoin, s’il veut approfondir sa doctrine, d’étudier l’économique, comme d’autre part l’économiste a besoin de connaître le droit.

Mais il ne faut pas nous en tenir à ces constatations un peu superficielles. S’il est vrai qu’aujourd’hui le droit régente l’activité économique des hommes, est-ce là un fait historique contingent, ou bien au contraire faut-il nécessairement qu’il en soit ainsi ?

La conception libérale, comme on l’appelle, a été entendue parfois en ce sens que l’économie pourrait — et devrait aussi — être indépendante du droit. Mais l’idée d’un régime de liberté absolue qui serait en même temps un régime d’ordre a quelque chose de contradictoire. Les libertés individuelles, nécessairement, se limitent les unes les autres ; et si l’on ne veut pas que cette limitation soit un pur fait, le résultat d’un jeu de forces, il faut qu’on détermine la sphère dans laquelle l’activité de chacun pourra se déployer. Il faudra, par exemple, décider si les individus pourront affecter à la satisfaction exclusive de leurs besoins personnels les forces extérieures, les biens de toutes sortes que la nature nous fournit. Les « libéraux » font une place au droit dans leur doctrine quand ils se déclarent partisans d’une certaine organisation de la propriété. Il est vrai que ce droit dont ils se déclarent partisans est, selon eux, un droit naturel[2]. Mais il ne faut pas que ce mot crée une confusion. Ce que les libéraux veulent dire, quand ils disent que cette organisation particulière de la propriété à laquelle ils sont attachés est naturelle, c’est qu’elle est fondée en raison : ils ne sauraient vouloir dire autre chose.

Dans toute société, l’activité économique des individus est conditionnée

  1. Voir Cossa, Introduzione, première partie, chap. 3, § 4.
  2. Ce mot se rencontre très souvent dans les écrits des physiocrates, et dans la Richesse des nations de Smith.