Page:Landry, Manuel d’économique, 1908.djvu/21

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce n’est pas tout. Pour ces faits eux-mêmes de l’ordre économique que l’on peut regarder comme des faits sociologiques, le parti pris de ne pas rechercher les réalités psychologiques qui y sont impliquées, ou qui se trouvent à leur source, est des plus fâcheux. Un des torts principaux de l’école classique, et de l’économique anglo-américaine en général, c’est de forger des processus économiques irréels ; elle est tombée dans des erreurs regrettables pour ne pas s’être préoccupée assez de concevoir comment se passaient ces choses sur lesquelles elle raisonnait, pour ne pas avoir pris la peine de remonter sans cesse aux personnes qui participaient à ces processus. N’est-il pas évident qu’à ne pas vouloir prendre en considération les facteurs psychologiques des phénomènes économiques, on s’interdit d’expliquer d’une manière complète ces phénomènes et de les rendre intelligibles ?

La conception qui veut qu’on traite les faits sociaux d’une façon toute « objective » est critiquable par rapport à toutes les branches de la sociologie. Mais c’est surtout peut-être quand il s’agit de l’économique qu’il devient difficile de la soutenir. Les faits économiques sont la manifestation ou le résultat de l’activité non seulement consciente, mais proprement raisonnable de l’homme. Du moins la raison, le calcul, ont-ils une part plus grande dans notre vie économique que partout ailleurs. Il en résulte que nulle part plus que dans la science économique le lien n’est apparent qui unit la sociologie à la psychologie.

Il faut donc être reconnaissant à ces économistes comme Menger, Böhm-Bawerk, qui ont insisté sur l’importance, pour la science économique, de l’investigation psychologique. Ces auteurs, d’ailleurs, ont joint l’exemple au précepte ; voulant approfondir certains grands problèmes de l’économique, le problème du prix, ou celui de l’intérêt du capital, ils se sont appliqués à faire la psychologie des échangistes, des prêteurs et des emprunteurs. Et ils sont arrivés par cette voie à des résultats très considérables.

Il faut être reconnaissant, d’autre part, à Tarde d’avoir, dans un ouvrage très inégal, mais souvent suggestif, appelé l’attention sur les avantages que la science économique retirerait d’une étude sérieuse des faits « interpsychologiques », des retentissements d’ordre divers que la vie psychologique des individus a sur leurs semblables[1].

Point n’est besoin, maintenant, d’insister sur le lien de dépendance qui unit l’art économique à la psychologie. Si l’art économique se propose de

    l’aide de l’idée d’échangeabilité, il n’est pas possible de distinguer, chez l’homme isolé, une activité économique et une activité non économique. Mais même par rapport à un tel homme, il est permis de parler de biens échangeables et de biens non échangeables : pour déterminer ces catégories, il n’y a qu’à replacer notre homme, par la pensée, dans la société.

  1. Voir La psychologie économique, Paris, Alcan, 1902.