Page:Landry, Manuel d’économique, 1908.djvu/24

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politique, commande même la direction de la pensée philosophique ou religieuse : c’est d’elle aussi que découle, en dernière instance du moins, tout le système du droit.

Telle est la thèse de Marx. Elle n’est point parfaitement claire, ni précise.

1o Que signifient au juste les expressions « conditions économiques », « structure économique » ? Les indications qui nous sont fournies par Marx et par Engels nous montrent qu’il faut entendre par là tout un ensemble de données assez diverses : l’état d’avancement de la technique productive, l’abondance plus ou moins grande des richesses naturelles, les facilités plus ou moins grandes données par la nature pour le transport des biens produits, et bien d’autres choses encore[1].

2o Dans quelle mesure, d’autre part, Marx veut-il que les facteurs économiques contribuent à déterminer les faits sociaux ? Il s’est rendu compte que les institutions, les croyances, une fois formées, réagissent sur les causes qui leur ont donné naissance, tendent à survivre à ces causes. Il n’a pas voulu réduire les problèmes historiques à des équations du premier degré[2]. Mais on voudrait être renseigné un peu mieux.

3o Enfin, de quelle manière s’exerce cette influence des conditions économiques sur la vie sociale que Marx croit si grande ? L’affirmation de cette influence peut être interprétée de plusieurs façons. On peut entendre, par exemple, que ce sont les aspirations d’ordre économique qui dirigent toute l’activité des hommes, qui déterminent le sens dans lequel s’orienteront tous nos désirs. On peut entendre encore que c’est des conditions économiques avant tout que dépend la possibilité pour les individus, pour les classes sociales, d’obtenir ce qui fait l’objet de leurs vœux. On peut également admettre les deux interprétations : car la deuxième thèse ne contredit nullement la première.

Au total, et pour autant que nous pouvons comprendre le sens et la portée de la théorie marxiste, il semble bien qu’il y ait dans celle-ci une assez grande exagération. Attachons-nous particulièrement au droit. Est-il à croire que celui-ci soit exclusivement le produit des facteurs économiques ? Des conceptions religieuses, des idées morales sont certainement aussi à l’origine des règles juridiques ; des besoins logiques de l’esprit ont contribué à faire concevoir et à faire adopter ces règles ; des contingences historiques ont encore joué ici un très grand rôle. Et sans doute la direction des croyances religieuses et morales pourra s’expliquer, dans une certaine mesure, par des causes d’ordre économique ; mais elle ne résultera pas entièrement de ces causes.

  1. Voir la troisième des lettres d’Engels mises en appendice au livre de Labriola, Socialisme et philosophie (Paris, Giard et Brière, 1899).
  2. Voir le même texte.