Page:Landry, Manuel d’économique, 1908.djvu/25

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Considérons le droit français dans le commencement du xxe siècle. Ce droit donne satisfaction, principalement, aux intérêts de la classe « bourgeoise » ou « capitaliste ». Il satisfait cependant aussi, dans une certaine mesure, les aspirations, non pas peut-être de la classe prolétarienne, mais des petites gens en général, aussi bien des petits propriétaires que des prolétaires : et cela par suite des modifications qu’on a introduites depuis quelque temps dans le droit de la Résolution et de Napoléon. Mais si notre droit est à l’avantage de la classe bourgeoise, est-ce uniquement, comme les marxistes le prétendent, parce qu’à un moment donné — à la fin du xviiie siècle — la bourgeoisie française a été assez forte pour imposer l’établissement d’un régime qui devait lui permettre de se développer librement ? La Révolution n’a-t-elle pas été tout autant pour le moins le résultat d’un mouvement « idéologique » que des causes point du tout économiques — le progrès des sciences vraisemblablement, et le tour particulier du génie français, et certaines circonstances historiques — ont suscité ou favorisé ? Les tendances démocratiques, cependant, pénètrent de plus en plus dans notre législation : est-ce uniquement à des causes économiques qu’il faut rapporter ce fait ? Il paraît difficile de le soutenir. Et pourquoi ces tendances ne bouleversent-elles pas complètement notre droit ? Pourquoi l’ordre juridique ancien se fait-il respecter, dans une certaine mesure, de ceux-là mêmes qui seraient intéressés à le renverser ? Pour expliquer ces choses, il faudrait prendre en considération et le degré d’instruction, et la plus ou moins grande hardiesse intellectuelle et morale des hommes que ces questions concernent, tout un ensemble de faits qui peut-être sont dus en partie à des causes économiques rapprochées ou lointaines, mais à la production desquels bien d’autres facteurs encore ont contribué.

Ainsi le matérialisme historique, même en tenant compte de ces précautions que les fondateurs de la doctrine ont prises contre une interprétation par trop simpliste de leur pensée, ne doit être accepté qu’avec beaucoup d’atténuations et de réserves. Les facteurs économiques ont toujours joué un grand rôle dans l’évolution de l’humanité ; ils ne l’expliquent pas à eux seuls, tant s’en faut.

11. Avec la sociologie. — L’étude des rapports de l’économique avec le droit nous conduit naturellement à parler des rapports de l’économique avec la sociologie en général, dont le droit est une des branches. La discussion, même, du matérialisme historique nous a amenés déjà à entrer dans cette question plus large, puisque le matérialisme historique affirme l’influence prépondérante des conditions économiques, non pas sur le droit seulement, mais sur toutes les manifestations de la vie sociale. Et la conclusion à laquelle nous sommes arrivés est une conclusion dont la portée dépasse la question spéciale du droit.