Page:Landry, Manuel d’économique, 1908.djvu/29

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ne saurait rien devoir à la morale. On a reproché souvent à l’économique d’être immorale ; on lui a reproché tout au moins de n’avoir point d’en trailles : qu’on voie, par exemple, le rôle joué dans les romans de Dickens par ces personnages qui ont toujours à la bouche les enseignements de l’économique. Ce qu’il est permis de dire, c’est que les économistes de l’école classique, trop souvent, ont oublié la véritable destination des « richesses » dans l’étude scientifique qu’ils ont voulu faire des phénomènes — comme aussi, par une conséquence nécessaire, dans les applications pratiques qu’ils ont faites des propositions de leur science. — Il reste, toutefois, que la science n’a point d’autre tâche que de rechercher selon quelles lois se produisent les phénomènes que nous observons.

La science économique n’est aucunement sous la dépendance de la morale. Mais entre l’objet de l’économique et l’objet de la morale il y a une analogie très grande, qui fait que l’avancement de l’une peut être profitable à l’autre. Dans l’économique, la notion de valeur jouera un rôle de premier ordre. Les biens économiques forment un système de valeurs ; la théorie de la valeur sera donc la théorie centrale de l’économique. Mais quel est l’objet de la morale ? c’est précisément de constituer un système de valeurs, un système de valeurs, il est vrai, où tous les biens entreront, et point seulement les biens échangeables, un système, d’autre part, qui au lieu de correspondre aux appréciations spontanées des individus, d’exprimer leurs inclinations, leurs goûts, leurs sentiments naturels, sera conforme aux exigences de la raison.

Les deux différences que nous venons d’indiquer sont très importantes. Il reste, cependant, que la notion de valeur joue un rôle aussi considérable dans la morale que dans l’économique. Et ainsi ces deux études pourront se prêter secours l’une à l’autre. Mais en fait, des deux, celle qui peut le plus aider l’autre, c’est l’économique. Il y a longtemps que les économistes travaillent à élaborer une théorie de la valeur : c’est que le système des valeurs économiques se présente à eux comme un fait qu’il est impossible d’ignorer. Les croyances morales traditionnelles, au contraire, imposent partout aux hommes, non pas une hiérarchie de valeurs, mais un ensemble dérègles impératives, toutes absolues, et qui ne gouvernent pas la totalité de nos actions. Et les moralistes, quand ils ont voulu substituer aux croyances traditionnelles des conceptions fondées sur la raison, ont subi l’influence de ces croyances communes : ils n’ont pas eu une vue claire des caractères nécessaires de l’entreprise dans laquelle ils s’engageaient. Ainsi l’idée d’un système de valeurs, cette idée essentielle pour la morale, ils ne sont point du tout familiarisés avec elle. Et c’est pourquoi c’est à eux qu’il faut conseiller, aujourd’hui, de se mettre à l’école des économistes[1].

  1. Il faut recommander ici, comme une tentative intéressante pour féconder