Page:Landry, Manuel d’économique, 1908.djvu/30

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Le moraliste pourra transporter — en les modifiant sans doute — certaines notions, certaines vérités où les économistes sont parvenus déjà dans ce qu’on nomme communément la morale « théorique ». Quand il s’occupera de morale « pratique », il lui faudra nécessairement s’appuyer sur la science économique, comme sur les autres sciences : et la connaissance de l’économique sera même, ici, particulièrement importante. Il en sera ainsi, surtout, si notre moraliste est un utilitaire. Il ne semble pas qu’aucune doctrine sérieuse, aujourd’hui, puisse prétendre fixer la valeur morale de nos actions sans prendre en considération les conséquences de celles-ci. Mais pour l’utilitaire, toute appréciation morale se réduit à une mesure du plaisir et de la peine que les actions produisent chez l’ensemble des êtres sensibles, par elles-mêmes ou par leurs conséquences. Il faudra donc, pour juger les actes, prévoir toute la suite des effets qu’ils auront. Et s’il est vrai que le bonheur et le malheur des hommes, pour autant du moins que ce bonheur et ce malheur dépendent de leur conduite et de celle de leurs semblables, qu’ils sont susceptibles d’être accrus ou diminués, résultent principalement de tout ce qui constitue leur condition économique, de leur activité économique propre et de l’activité économique de leurs semblables — c’est là une proposition qui sera difficilement contestée, — alors il est clair que le moraliste aura besoin, pour déterminer les régies de la morale personnelle et surtout de la morale sociale, d’avoir approfondi les questions économiques. Une vue des relations économiques des hommes plus pénétrante que celle dont les économistes se con tentent d’ordinaire conduit à renouveler, sur des points d’une extrême gravité, les préceptes généralement énoncés par les moralistes : l’exemple d’Effertz, les idées morales nouvelles si intéressantes que ses théories économiques lui ont inspirées sont là pour le prouver[1].

Mais qu’est-ce au juste que cette partie de la morale « pratique » qui aura à diriger l’activité économique de l’homme, son activité privée d’une part, et son activité publique aussi — autrement dit cette activité qui tend à orienter d’une certaine manière la politique économique — ? Cette morale économique, si on y réfléchit, se confond tout à fait avec l’art économique, pour autant que celui-ci se propose comme fin de réaliser, dans la sphère économique, le bien public, ou tel autre idéal que la morale aura déter-

    l’étude de la morale en introduisant dans celle-ci les concepts, les théories familières aux économistes, le livre de Calderoni, Disarmonie economiche e disarmonie morali (Florence, Lumachi, 1906). La principale critique qu’il y a lieu d’adresser à ce livre, c’est que l’auteur ne distingue pas assez ces trois choses, la science des mœurs, comme on l’appelle, la morale proprement dite, et enfin ce qu’on voudrait nommer la pédagogie morale, en d’autres termes l’art d’amener les hommes — en commençant par soi-même — à conformer leur conduite à l’idéal moral.

  1. Voir Les antagonismes économiques, par Effertz, 2e partie, chap. 3, II, § 10, 3e partie, chap. 1, III. et passim.