Page:Landry, Manuel d’économique, 1908.djvu/75

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sulte pas uniquement d’une suggestion qui, d’une manière en quelque sorte mécanique, s’exercerait d’un individu à l’autre. Si on imite les autres, c’est souvent pour ne pas leur paraître inférieur, ou encore pour s’élever au-dessus de ceux de sa condition : et c’est ce qui explique que l’origine des besoins les plus répandus aujourd’hui doive être cherchée si souvent dans des usages primitivement aristocratiques. Et il faut tenir compte également, ici, du désir que nous avons, une fois qu’une coutume, une mode s’est généralisée, ou bien encore lorsque nous sommes convaincus qu’elle va se généraliser, de ne pas nous singulariser. La tyrannie de la mode dans le costume est suffisamment connue ; la seule chose qui pourrait étonner ici, c’est la rapidité avec laquelle cette mode établit son empire uniforme sur tout le monde civilisé, ou sur une grande partie de celui-ci : mais le secret de cette rapidité est sans doute, en même temps que dans le prestige universel dont un petit nombre de fabricants, de tailleurs ou de couturiers jouissent, en même temps aussi que dans l’accord de ces industriels, dans les moyens dont ils disposent pour nous persuader que les modes qu’ils nous offrent seront adoptées par tout le monde, qu’elles vont être ou qu’elles sont « la mode ».

Notons, d’autre part, qu’à côté des coutumes, des modes tout à fait générales, il en est qui sont propres à des classes sociales déterminées. Pendant longtemps même, il n’y en a eu que de telles : ce n’est que depuis peu de temps que l’on voit dans nos pays les mêmes types de vêtements, par exemple, portés par toutes les classes de la population, ou à peu près. Aujourd’hui encore il y a beaucoup d’obligations qui s’imposent, sous le rapport de l’importance relative à donner aux différents articles du budget des dépenses, aux membres de telle et telle classe en tant que tels[1]. Un « bourgeois » se privera de nourriture plus volontiers qu’il ne renoncera à avoir un salon, même si son salon ne lui rend aucun service. Ce n’est pas seulement par vanité : c’est aussi parce que, placé par sa naissance et par son éducation dans une certaine classe, il craint, s’il s’écarte des habitudes de cette classe, d’encourir la réprobation de ceux qu’il est accoutumé à regarder comme ses égaux. Et c’est sans doute dans la considération de ces obligations spéciales — qui sont de tant de conséquence au point de vue économique — qu’il faut chercher le principe véritable de la distinction des classes sociales[2].

Pour terminer, il importe de remarquer, à propos de l’origine des besoins, que les besoins spéciaux ou particuliers sont issus des besoins les plus généraux.

  1. Il y a des remarques intéressantes sur ce sujet chez Effertz (Les antagonismes économiques, partie II, chap. 3, iii, § 3, A, b).
  2. La psychologie économique des classes a été étudiée par divers auteurs ; citons particulièrement Veblen, The theory of the leisure class, New-York, Macmillan, 1899.