Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/101

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Est-il besoin d’indiquer, encore, que la notion du devoir, prise dans sa généralité, devient chez certains l’objet d’un amour pareil à celui que nous inspirent les personnes, qu’il peut devenir même de l’enthousiasme ? Kant a combattu cet enthousiasme moral, où il voit une forme du fanatisme ; c’est qu’il ne veut pas que la vertu soit fondée sur autre chose que sur la raison. Il n’en est pas moins vrai que la conception du devoir rationnel n’ira pas sans faire naître, plus ou moins fort sans doute, le sentiment que je disais.

D’autre part, il arrive que nous nous fassions un point d’honneur de remplir les devoirs que notre conscience nous prescrit ; et c’est ce qui explique le fait que l’on obéit d’autant plus volontiers à sa conscience, parfois, que l’accomplissement du devoir est plus difficile ou plus pénible.

Enfin il faut tenir compte aussi du sentiment d’affranchissement que nous éprouvons quand nous avons obéi à la raison. Cette raison est nôtre, et la suivre, c’est proprement nous libérer de toute servitude. L’indépendance à l’égard des penchants est la source d’un contentement immuable, a dit Kant — dont le seul tort ici est d’appeler ce contentement « intellectuel » — ; et c’est là, écrit-il ailleurs, une riche compensation pour les sacrifices auxquels la morale peut nous condamner[1].

On le voit, les sentiments sont nombreux qui viennent se fondre avec le sentiment rationnel du devoir. Ces sentiments sont distincts du sentiment moral rationnel ; mais ils sont provoqués par celui-là, qui en

  1. Voir pp. 214-215 (1e partie, II, 2, § 2), p. 273 (2e partie).