Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/111

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est le cas, à ce qu’il semble, de M. Bergson. M. Bergson a consacré à la question de la liberté des pages extrêmement pénétrantes, et l’on peut dire que nul philosophe n’a apporté, dans notre époque, une contribution plus importante que la sienne à l’étude de cette question. Il a dénoncé les sophismes contenus dans cette idée que l’on a généralement, quand une action a été accomplie, qu’une autre action aurait pu être accomplie en la place de celle-là[1]. Il a critiqué également le déterminisme tel qu’on le comprend d’ordinaire, et montré que ce déterminisme impliquait l’extension de la nécessité absolue des mathématiques à des ordres de faits où cette nécessité ne saurait plus régner. M. Bergson, en somme, croit à la liberté. Mais cette liberté, il la définit par l’imprévisibilité des actions où elle se manifesterait. Et on peut se demander si une liberté ainsi définie ne conserve pas une certaine parenté avec cette liberté d’indifférence que M. Bergson a sévèrement condamnée, avec la liberté infinie.

Je repousse donc le concept d’une liberté qui déborderait les faits. Il est absurde de croire, quand on a agi d’une certaine façon, qu’on aurait pu agir autrement. Et l’absurdité n’est pas moindre quand on applique le concept que je viens de dire au futur que quand on l’applique au passé ; il faut se garder de croire, quand on considère une alternative pratique qui se présente à nous, que la réalisation des deux partis de l’alternative est également possible. Une liberté qui déborderait les faits, et j’ajoute encore une liberté qui impliquerait la non-prévisibilité des actions, nous ramène à la liberté d’in-

  1. Essai sur les données immédiates de la conscience (Paris, Alcan, 1889, III, pp. 133 sqq.).