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Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/159

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bonheur au contentement, c’est que, pour estimer le bonheur d’un homme, il faut tenir compte de ses souffrances — de celles, notamment, qui résultent d’aspirations non satisfaites — en même temps que de ses plaisirs. En ce sens, on a pu avoir raison de dire que le sauvage est aussi heureux que bien des civilisés, avec une masse de plaisirs moindre. On accordera aussi que le sentiment du contentement est un plaisir spécial que l’on devra faire entrer dans le calcul hédonistique. Il peut du moins être un plaisir : car on sait que chez certaines natures et dans certaines situations le fait de ne plus rien avoir à désirer, de voir tous ses vœux comblés immédiatement, engendre la mélancolie et le dégoût de la vie. J’ajoute que le mécontentement de l’homme qui ne peut satisfaire ses désirs parce que ceux-ci sont trop élevés, s’il est une peine réelle, est compensé souvent, et au delà, par le sentiment d’orgueil qui l’accompagne : « qui veut faire dans la vie une moisson de bonheur et de tranquillité, dit Nietzsche, n’a qu’à se détourner toujours des voies de la culture supérieure »[1] ; l’allégresse, l’exaltation joyeuse que respirent la plupart des écrits de Nietzsche montrent que le bonheur, sinon la tranquillité, peut appartenir très bien à ceux qui recherchent cette culture.

Je viens d’indiquer la place qu’il convient de donner, dans le calcul hédonistique, au sentiment du contentement, et à tous ces plaisirs qui naissent du développement et de l’exaltation du moi. Il ne faut pas oublier de noter, à ce propos, que si, quand il est question de l’arithmétique hédonistique, on pense d’ordinaire aux

  1. Humain, trop humain, I, § 277.