Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/158

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décider ainsi, à la place du pourceau, nous transportons en lui nos besoins, nos désirs, et nous imaginons alors que les plaisirs dont il jouit ne nous satisferaient pas[1].

Cette argumentation est loin d’être décisive ; il n’est pas besoin, pour que je déclare mon lot préférable à celui du pourceau, que je transporte dans le pourceau les aspirations qui me sont propres. Le bonheur est subjectif, cela veut dire qu’il ne peut être mesuré que par ce que sent l’individu à qui on l’attribue ; mais cela n’empêche nullement que le bonheur qu’un individu connaît et au delà duquel il ne conçoit rien puisse être inférieur à tel autre bonheur : n’arrive-t-il pas que des gens qui se croyaient parfaitement heureux se trouvent un jour, par suite d’un changement survenu dans leur vie, plus heureux encore qu’ils n’étaient auparavant ?

D’ailleurs les conclusions pratiques auxquelles M. Cresson aboutit impliquent, quoi qu’il en ait, l’acceptation de cette manière de voir. M. Cresson ne nous recommande pas l’anéantissement dans le nirvâna, l’abolition de la conscience. Il veut que nous travaillions à supprimer en nous tous les désirs, toutes les tendances — ce sont des causes de non-contentement — pour ne laisser subsister que le sentiment du contentement. Il attache donc un prix à ce sentiment ; mais pourquoi y attacherait-il un prix, sinon parce qu’il est agréable ? et si le prix de ce sentiment lui vient de ce qu’il est agréable, ne faudra-t-il pas établir une balance entre lui et les autres plaisirs ?

Ce que l’on doit accorder à la théorie qui réduit le

  1. Pp. 162-163. Cf. Höffding, Morale, 7, 3 (pp. 116-118).