Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/178

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plus désirables que la puissance et l’intérêt d’un seul ; tu es un animal raisonnable, tu as donc en toi un instinct de généralisation qui te fait comprendre l’identité du bien d’un autre individu avec ton bien dans le bien général, et la supériorité scientifique de ce bien général sur ton bien particulier. A = A, un homme = un homme, et le bien de tous les hommes est plus que le bien d’un seul »[1]. Toutes ces formules, toutes ces paroles sont on ne peut plus vraies et profondes ; et l’on ne peut s’empêcher de regretter qu’un préjugé contre l’utilitarisme, un goût fâcheux pour la spéculation métaphysique et le désir de « concilier » les systèmes ait éloigné celui qui les a écrites de la doctrine morale qu’elles contiennent.

Faudra-t-il insister longuement sur le point qui nous occupe ? L’argumentation par laquelle on substitue au principe de l’utilité individuelle le principe de l’utilité générale est extrêmement simple. La raison nous invite à préférer le plaisir à la peine, le plaisir présent plus intense au plaisir présent moins intense ; et elle nous invite en outre — nous supposons ici que nous n’avons à penser qu’à nous-mêmes — à ne pas établir de différence, toutes choses égales d’ailleurs, et abstraction faite de la pensée de la mort, entre le plaisir présent et le plaisir futur, entre le plaisir prochain et le plaisir éloigné. Mais si elle refuse de prendre en considération le moment où l’on goûtera les plaisirs, où l’on souffrira les peines, la raison, de la même manière et tout aussi fortement, refuse de prendre en considération l’individu qui connaîtra ces plaisirs et ces

  1. Ibid., Conclusion, p. 389.