Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/179

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peines. Les individus, comme les moments du temps, sont tous pareils devant elle.

Dira-t-on que la raison à elle seule est impuissante à nous intéresser aux autres, que nous ne pourrons vouloir le bien de ceux-ci qu’autant que notre sensibilité s’y prêtera ? Mais quand notre sensibilité s’intéresse à nos semblables, on peut soutenir que c’est parce que la raison agit en nous ; et on est en droit d’ajouter que la sensibilité répond toujours, en cela, à l’appel de la raison. Nous ne pouvons pas penser au bien d’un autre sans désirer ce bien à quelque degré : concevoir un plaisir personnel, c’est s’en faire une représentation, si décolorée qu’elle soit, c’est l’imaginer, c’est le sentir : concevoir le plaisir d’un autre, pareillement, c’est le sentir, c’est y aspirer, même alors qu’une tendance contraire et plus forte nous pousse à vouloir du mal à l’individu auquel nous pensons ; et n’est-ce pas une manifestation de l’activité de notre raison, que la même attitude soit déterminée chez nous par la pensée du bien d’autrui et par celle de notre bien propre ?

Ce qui est vrai, c’est que la raison, lorsqu’elle nous prescrit de vouloir le bien universel, trouve d’une façon générale moins d’appui dans nos tendances que lorsqu’elle nous prescrit de vouloir notre bien propre ; les résistances qu’elle a à vaincre sont plus fortes, sa victoire est moins aisée. Ce qui est vrai encore, c’est que, au point de vue philosophique, la démarche de la raison est double dans le premier cas, tandis qu’elle est simple dans le second. L’hédonisme égoïste supprime la considération du temps, l’utilitarisme parfait supprime en plus la considération des individualités. Mais en-