Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/198

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de la souffrance parmi les êtres sentants, sans nous préoccuper d’un moment de la durée plutôt que d’un autre, sans favoriser jamais un individu aux dépens des autres.

L’utilitarisme ainsi fondé est une doctrine rationaliste. Il fait au naturalisme sa part ; car il se refuse à mettre dans le devoir rien de transcendant ; reconnaissant à la raison, par rapport aux autres forces qui agissent en nous, une certaine souveraineté, il n’admet pas que l’autorité de la raison déborde l’autorité que reconnaît à cette raison le sujet en qui elle agit, ni même en un sens qu’elle déborde son influence sur ce sujet. Mais en même temps il s’oppose au naturalisme radical, c’est-à-dire à cette conception d’après laquelle la morale n’aurait pas d’autre tâche que de déterminer quelles sont, parmi les fins que les hommes poursuivent, celles que l’on appelle morales ; il évite cette grave erreur qui ne tend à rien de moins qu’à méconnaître complètement l’objet de la morale, à supprimer en quelque sorte celle-ci.

D’autre part, se basant sur la raison, mon utilitarisme a soin de distinguer la fonction pratique de la raison de sa fonction spéculative. Il se garde de croire, comme certains philosophes ont fait, que le problème moral soit purement un problème logique[1]. Il s’écarte, encore, de la conception de ces métaphysiciens dogmatiques qui, assignant comme tâche à la morale la déter-

  1. Voir les conceptions de Littré et de Taine discutées par M. Fouillée (Systèmes de morale contemporains, II, i). M. Staudinger (Das Sittengesetz, 2e éd., Berlin, Dümmler, 1897) croit que la moralité est réalisée quand on a supprimé les contradictions des fins de l’activité.