Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/225

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précieuses. Nietzsche a analysé finement les plaisirs que le savant goûte : c’est le plaisir d’exercer son intelligence, de se livrer à une gymnastique de l’esprit ; c’est celui de dépasser d’anciennes conceptions ; c’est celui d’être seul parmi les hommes à détenir la vérité sur de certains points[1]. Nietzsche note aussi cet attrait de jeunesse qu’a la science dans notre époque, où les découvertes sont encore récentes[2]. Celui qui s’instruit sans être un savant exerce lui aussi des facultés, satisfait un besoin de sa nature. Pour tous l’augmentation de la connaissance représente une augmentation de la puissance, un élargissement, surtout, une sorte de dilatation du moi, lequel se fait à lui-même l’effet d’embrasser les objets nouveaux qu’il atteint, de s’étendre sur eux, et en éprouve une joie d’une certaine manière plus « grande » que toutes les autres. Et tout cela a développé à tel point en nous l’ « instinct de connaissance » que nous ne pouvons plus, comme Nietzsche l’a dit, imaginer le bonheur sans connaissance, ou apprécier « le bonheur d’une illusion solide et vigoureuse », que « nous [préférerions] tous voir l’humanité périr plutôt que de voir la connaissance revenir sur ses pas »[3].

Mais ce n’est pas seulement l’importance, du point de vue hédonistique, de la connaissance qui explique le prix attribué à celle-ci par tant de philosophes. L’origine de cette conception est surtout dans la facilité avec laquelle on passe de la considération des exigences de la raison, lesquelles donnent naissance à la morale, à l’idée du savoir seule fin ou principale fin morale. On a

  1. Humain, trop humain, I, § 252.
  2. § 257.
  3. Aurore, § 429.