Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/241

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même ceux qui se méprennent sur ses intentions : « des liens solides nous tiennent garrottés, nous portons une camisole de force du devoir et nous ne pou vons nous en dégager. Parfois, il est vrai, nous dansons dans nos chaînes et parmi nos glaives. Plus souvent, ajoutons-le, nous grinçons des dents et nous nous révoltons contre toutes les rigueurs secrètes de notre destinée. Mais quoi que nous fassions, les sots et l’apparence sont contre nous et disent : « ce sont là des hommes sans « devoirs »  »  »[1].

En réalité, il serait plus plausible de dire que Nietzsche a plusieurs morales que de dire qu’il n’en a pas. C’est ainsi, par exemple, que tantôt Nietzsche semble exposer une morale strictement individuelle, et tantôt il nous invite à poursuivre des fins point exclusivement égoïstes.

Les passages sont nombreux chez Nietzsche où ce lui-ci paraît nous engager à développer toutes les énergies du moi, à exalter, par l’exercice de toutes nos fa cultés, le sentiment de notre puissance et la conscience de notre individualité sans prendre souci de rien d’autre. Et la plupart de ceux-là qui dans les lettres et dans la vie se réclament de Nietzsche interprètent dans ce sens la doctrine du maître. La vérité est que le bien tel que Nietzsche le conçoit, la fin vers laquelle son enseignement veut nous diriger n’est pas une fin individuelle, égoïste. Seulement il croit devoir insister sur cette idée que la façon la plus sûre dont nous puissions contribuer au bien général, c’est celle qui consiste à

  1. Par delà le bien et le mal, § 226. Voir encore §§ 203, 272 et passim.