Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/242

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travailler à notre bien propre. « On offre sans cesse notre personnalité en sacrifice à l’État, à la science, à celui-qui-a-besoin-d’aide. Faire de soi une personne complète et dans ce que l’on fait se proposer son plus grand bien, cela va plus loin que ces misérables émotions et actions au profit d’autrui. C’est précisément dans les considérations les plus personnelles que l’utilité générale est aussi la plus grande »[1]. Idée juste, pourvu qu’on se garde de toute exagération dans l’application[2] : car il est certain que souvent, avec une même dépense d’activité et de peine, nous nous procurerons plus de bien à nous-même que nous n’en procurerions à d’autres — comme aussi nous en procurerons plus à nos proches qu’aux gens éloignés de nous —.

C’est à toute l’humanité que Nietzsche s’intéresse. Il veut la rendre maîtresse de ses destinées, il veut « mettre fin à cette épouvantable domination de l’absurde et du hasard qu’on a appelée jusqu’à présent l’histoire ». Et ce qui le préoccupe — c’est ici qu’apparaît la parenté de sa doctrine avec celle de Spencer — c’est l’avenir — l’avenir lointain, l’avenir ultime — de l’humanité. Il est ce penseur dont il parle quelque part, qui « souffre d’une anxiété à nulle autre pareille [parce qu’] il saisit d’un regard tout ce qu’on pourrait

  1. Humain, trop humain, I, § 95.
  2. Pourvu aussi qu’on l’applique là où il convient de l’appliquer. Ainsi, il est clair que nous pouvons plus d’ordinaire pour augmenter notre bonheur propre que pour augmenter celui du prochain, quand on considère cette augmentation du bonheur qui résultera d’une réforme du caractère ; mais l’idée de Nietzsche cessera d’être vraie pour autant que le bonheur dépend de la richesse : c’est un fait que les biens économiques acquis par un homme déjà pourvu abondamment lui sont moins utiles qu’ils ne le seraient pour des gens moins riches.