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Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/244

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aux grandes hauteurs ? Cette tension de l’âme dans le malheur, qui lui inculque la force, son ingéniosité et son courage à supporter, à braver, à interpréter, à mettre à profit le malheur, et tout ce qu’elle a jamais possédé en fait de profondeur, de mystère, de masque, d’esprit, de ruse, n’est-ce pas au milieu de la souffrance que tout cela lui a été donné ? »[1] Pour la même raison, enfin, Nietzsche combat les « idées modernes », l’égalitarisme, le socialisme, toutes doctrines qui tendent à empêcher les efforts, les élans, la marche vers un état supérieur de l’humanité, à établir pour tous une médiocrité méprisable et stationnaire, qui bornent notre idéal et arrêtent notre vue à un horizon tout proche[2].

Mais si le regard de Nietzsche va de préférence vers les perspectives lointaines, quelles sont les fins qu’il aperçoit au bout de ces perspectives ? Nietzsche ne nous les indique pas très nettement. Les formules qu’il emploie d’ordinaire, la formule, par exemple, « faire sortir autant que possible l’homme de l’animalité »[3], sont imprécises. On peut même se demander si le bien tel que Nietzsche le conçoit est un bien qui se termine aux individus. Nietzsche paraît disposé bien souvent à tout subordonner à la réalisation, ne serait-ce que dans un petit nombre d’individus, d’un idéal de perfection, de force ou de beauté[4]. Toutefois, si l’on se pénètre bien de l’esprit de la philosophie nietzschéenne, si l’on sait voir l’horreur de Nietzsche pour les abstrac-

  1. Par delà le bien et le mal, § 225.
  2. Humain, trop humain, I, § 235.
  3. Aurore, § 106.
  4. Humain, trop humain, I, §§ 438, 479, 480.