Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/243

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tirer encore de l’homme en suscitant une réunion et un accroissement favorables des forces et des devoirs, [qui] sait combien de possibilités résident encore dans l’homme »[1]. « L’essence de ce qui est véritablement moral » ne consiste pas, pour lui, « à envisager les conséquences prochaines et immédiates que peuvent avoir nos actions pour les autres et à [se] décider d’après ces conséquences. Ceci n’est qu’une morale étroite et bourgeoise ». « Il me semble, dit-il, que ce serait d’une pensée supérieure de regarder au delà de ces conséquences immédiates afin d’encourager des desseins plus lointains. » Et il se demande : « pourquoi n’aurait-on pas le droit de sacrifier quelques individus de la génération actuelle en faveur des générations futures ? »[2]

C’est parce qu’il est soucieux surtout de l’évolution et des destinées lointaines de l’humanité que Nietzsche combat l’altruisme, tel qu’on le comprend d’ordinaire. Il s’élève principalement contre la pitié, qui a pour conséquence de conserver des dégénérés et de leur permettre de perpétuer leurs tares, qui ajoute aux maux primaires des hommes le surcroît des souffrances sympathiques, qui affaiblit enfin et déprime notre énergie, la chose du monde qui importe le plus pour le progrès de la race[3]. Il déclare même la guerre à ceux qui cherchent à abolir la souffrance, parce qu’ils « amoindrissent » l’homme. « La discipline de la souffrance, écrit-il, de la grande souffrance, ne savez-vous pas que c’est cette discipline seule qui jusqu’ici a porté l’homme

  1. Par delà le bien et le mal, § 203.
  2. Aurore, § 146.
  3. § 134 et passim.