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Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/78

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et alors, même si la conviction morale est assez forte pour l’emporter sur les tendances contraires, cette conviction est pour nous comme un joug qui nous pèse, et dont nous voudrions être délivrés[1].

S’il en est ainsi, si la croyance morale, dans ce qu’elle a de spécifique, est ou peut devenir pour nous un fardeau, il est clair que la connaissance de son origine, que l’analyse tendront à la détruire. Elle ne s’imposait à nous — pour autant que nous nous abstenons de la « fonder » — que parce que nous pouvions la croire universelle, nécessaire. Détrompés, elle s’évanouira. Le sentiment qui l’accompagnait subsistera plus longtemps, car les sentiments sont plus tenaces que les croyances. Si ce sentiment, toutefois, doit sa naissance à la croyance correspondante, il sera condamné à périr dès lors que cette croyance ne sera plus là pour le vivifier. Et si l’on veut que le sentiment puisse avoir une

  1. Ce qui vient d’être dit de la distinction à établir entre la conviction morale et le sentiment proprement dit pourrait être illustré par des exemples tirés de la littérature. Les héros de Corneille, le plus souvent, sont déterminés à agir par des convictions morales. Auguste, s’il s’abandonnait à ses sentiments, prononcerait sans doute la condamnation de Cinna ; le pardon qu’il accorde à celui-ci procède, en même temps que de vues intéressées et de la lassitude qu’éprouve l’empereur, fatigué de réprimer des complots, d’un effort de la volonté qui est proprement moral. Il en va autrement, sauf exception, des héros et des héroïnes de Racine. Andromaque, dans son amour pour son fils, tremble que celui-ci ne soit sacrifié ; mais si elle hésite à épouser Pyrrhus pour sauver Astyanax, ce n’est nullement qu’elle se croie tenue, comme on l’a dit plus d’une fois, de demeurer fidèle à la mémoire d’Hector ; c’est que son attachement passionné à cette mémoire lui fait regarder avec horreur l’idée d’une seconde union, et surtout d’une union avec le meurtrier de Priam, avec le fils de celui qui a tué Hector : la lutte, dans son âme, est toute entre deux sentiments.
    Il peut arriver qu’un sentiment, par cela seul qu’il est fort, se teinte de la nuance de l’obligation. J’ai déjà mentionné ce cas de contamination psychologique. Il me sera permis de le négliger ici.