Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/114

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dans l’incertitude des recherches physiques, Socrate ne déplorait que l’impossibilité trop manifeste d’expliquer l’entière construction des mondes par les principes de la finalité rationnelle qu’il avait inutilement cherché dans les écrits d’Anaxagore. En effet, partout où Socrate parle des causes efficientes, elles sont pour lui de prime abord quelque chose de très-indifférent, de très-insignifiant. Cela se comprend, si l’on voit en elles, non les lois générales de la nature, mais les simples instruments d’une raison pensant et agissant comme une personne. Plus cette raison apparaît élevée et puissante, plus son instrument semble indifférent et insignifiant ; aussi Socrate n’a-t-il pas assez de mépris pour l’étude des causes extérieures.

On voit ici que même la doctrine de l’identité de la pensée et de l’être a au fond une racine théologique ; car elle présuppose que la raison d’une âme du monde ou d’un Dieu, raison qui ne diffère, en effet, de celle de l’homme que par des nuances, a tout pensé et tout coordonné comme nous pouvons et devons même le penser à notre tour, si nous faisons un emploi rigoureux de notre raison.

On peut comparer le système religieux de Socrate au rationalisme moderne. Ce philosophe prétend, il est vrai conserver les formes traditionnelles du culte des dieux, mais il leur prête toujours un sens plus profond. Ainsi il veut qu’on demande aux dieux non tel bien en particulier, mais seulement le bien en général, les dieux sachant, mieux que nous, ce qui nous est avantageux. Cette doctrine paraît aussi inoffensive que raisonnable, si l’on oublie combien, dans les croyances helléniques, la prière spéciale pour obtenir des biens déterminés concordait avec les attributions particulières de chaque divinité. Ainsi, pour Socrate, les dieux de la croyance populaire n’étaient que les précurseurs d’une foi plus pure. Il maintenait, entre les savants et la multitude, l’unicité du culte, mais en donnant aux traditions un sens que nous pouvons bien appeler rationaliste. Socrate était conséquent avec lui-même,