Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/178

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pour gagner à cette doctrine son ami, le poëte Memmius. L’enthousiasme avec lequel il oppose les bienfaits de sa philosophie aux troubles et au vide de son époque, donne à son œuvre une certaine élévation, un élan de foi et d’imagination, qui fait oublier assurément la douce sérénité de la vie épicurienne et communique parfois à la doctrine une teinte de stoïcisme. Bernhardy se trompe quand il dit, dans son Histoire de la littérature romaine, que « d’Épicure et de ses partisans, Lucrèce ne reçut que le squelette d’une philosophie de la nature ». Le savant philologue méconnaît ici Épicure qu’il juge plus injustement encore dans le passage suivant :

« Lucrèce bâtit sur ces fondements d’une conception mécanique de la nature ; mais, en s’efforçant de défendre les droits de la liberté et de l’indépendance personnelle contre toute tradition religieuse, il chercha à introduire le savoir dans la pratique, et voulut affranchir complètement l’homme en le faisant pénétrer par la science dans le fond et dans l’essence des choses. »

Nous avons déjà vu que cette tendance vers l’affranchissement est précisément le nerf du système épicurien, que l’incomplète analyse de Cicéron ne nous permet pas de juger sous ce point de vue. Heureusement, Diogène de Laërte, dans ses excellentes biographies, nous a conservé les propres paroles d’Épicure, qui forment le fond de notre exposition précédente (61).

Lucrèce fut attiré vers Épicure, qui lui inspira un si vif enthousiasme, principalement par l’audace et la force morale avec lesquelles le philosophe grec détruisit la crainte des dieux pour fonder la morale sur une base inébranlable. C’est ce que Lucrèce déclare formellement, aussitôt après le brillant début de son poème, adressé à Memmius :


Humana ante oculos fœde cum vita jaceret
In terris oppressa gravi sub relligione,