Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/206

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grande que n’aurait pu se la figurer l’imagination la plus audacieuse d’un épicurien.

Suivant Lucrèce, l’aimant produirait une émission d’atomes si brusque qu’en refoulant l’air, il opérerait entre lui et le fer un espace vide, dans lequel ce dernier se précipiterait. La physique épicurienne ne permet pas de croire qu’il soit ici question d’une mystique horreur du vide (horror vacui). Cet effet serait produit parce que chaque corps est sans cesse et partout atteint par le choc des atomes aériens et parce qu’il doit en conséquence se diriger vers l’endroit où se forme un vide, à moins que son poids ne soit trop grand, ou que sa densité ne soit si faible que les courants aériens puissent passer aisément par les pores de ce corps. Cela nous explique pourquoi c’est précisément le fer que l’aimant attire avec tant de vivacité. Lucrèce ramène la cause de ce phénomène à la structure et au poids spécifique du fer, les autres corps, par exemple l’or, étant trop lourds pour être mus par ces courants et pour être poussés vers l’aimant à travers l’espace vide d’air, ou bien si poreux, comme par exemple le bois, que les courants les traversent librement et sans impulsion mécanique.

Cette explication laisse encore bien des questions à résoudre, mais la manière dont Lucrèce a envisagé et traité ce problème parle bien plus aux sens que les hypothèses et les théories de l’école d’Aristote. Et d’abord on se demande comment il est possible que les émanations de l’aimant refoulent l’air sans repousser en même temps le fer (76). On aurait pu d’ailleurs constater à l’aide d’une expérience facile et comparative que dans l’espace où l’air est réellement raréfié se trouvent aussi des corps autres que le fer ; mais par cela même qu’on peut élever de pareilles objections, on voit que l’explication est essayée dans une voie féconde, tandis qu’en admettant des forces cachées, des sympathies spéciales et d’autres hypothèses semblables, on coupe court à toute réflexion ultérieure.