Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/231

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monde ; et cela, par la raison bien simple que chaque mot se rapporte à une chose (26).

Scot Érigène se plaçait à un point de vue déjà bien supérieur lorsqu’il déclarait que les mots de ténèbres, silence et autres semblables étaient les noms des idées du sujet pensant. Il est vrai que, plus loin, Scot regarde comme de même nature l’absence d’une chose et la chose elle-même ; il en est ainsi, ajoutait-il, de la lumière et de l’obscurité, du son et du silence. C’est, d’une manière absolument semblable, que j’ai une fois l’idée de la chose, une autre fois celle de l’absence de la chose. L’absence se trouve donc aussi donnée avec l’objet ; elle est quelque chose de réel.

Cette idée erronée se trouve déjà chez Aristote. Ce philosophe a raison de dire que la négation dans une proposition (ἀπόφασις) est un acte du sujet pensant ; mais la privation (στέρησις), par exemple la cécité d’un être naturellement voyant, lui paraît une propriété de l’objet. Et cependant à la place des yeux, nous rencontrons, en réalité, dans une telle créature un organe peut-être dégénéré, mais qui n’a en soi que des qualités positives ; nous trouverons peut-être que cette créature tâtonne et se meut difficilement ; mais ses mouvements sont déterminés et positifs dans leur espèce. L’idée de cécité ne nous vient que parce que nous avons comparé cette créature à d’autres, que notre expérience nous indique comme étant d’une constitution normale. La vision ne fait défaut que dans notre pensée. La chose prise en elle-même, telle qu’elle est, n’a de rapport ni avec la « vision » ni avec la « non-vision ».

Il est facile de trouver des défauts aussi graves dans la série des catégories d’Aristote, surtout dans celle de la « relation » (πρός τι) comme par exemple dans la notion du « double », du « demi », du « plus grand ». Personne n’affirmera sérieusement que ce sont là des propriétés des choses, si ce n’est en tant que les choses sont comparées par un sujet pensant.