Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/429

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toute assurance, c’est qu’il n’y a peut-être pas un écrivain de son temps moins enclin à se parer des plumes d’autrui. Ses citations, il est vrai, sont presque toujours inexactes ; mais, du moins, il nomme ses devanciers, ne fût-ce que par un mot ou par une allusion ; il est peut-être plus préoccupé de se créer des confrères en opinion, quand il est seul de son avis, que de se poser à tort comme original.

Au reste un écrivain, tel que de la Mettrie, devait facilement en arriver aux idées les plus hasardées ; car, loin de fuir les assertions aventureuses qui heurtent l’opinion générale, il les recherche avidement. Sous ce rapport, on ne peut pas trouver de plus grand contraste que celui qui existe entre la franchise de Montaigne et celle de de la Mettrie. Montaigne nous paraît, dans ses affirmations les plus risquées, presque toujours naïf et par conséquent aimable. Il habille, comme un homme qui n’a pas la moindre intention de blesser qui que ce soit, et à qui échappe tout à coup une pensée, dont lui-même ne semble pas comprendre la portée, tandis qu’elle effraie ou étonne le lecteur, pour peu qu’il la remarque et qu’il s’y arrête. De la Mettrie n’est jamais naïf. Il s’étudie à faire de l’effet ; c’est là son principal défaut, mais aussi ce défaut a-t-il été chèrement expié, puisqu’il a facilité à ses adversaires les moyens de dénaturer sa pensée. On peut même (abstraction faite des attaques simulées qu’il dirige fréquemment contre lui-même pour mieux conserver l’anonyme) expliquer très-souvent les contradictions apparentes de ses assertions par l’exagération d’une antithèse qu’il faut considérer, non comme une négation, mais seulement comme une restriction partielle de sa pensée.

C’est ce même défaut qui inspire une si forte répugnance pour les ouvrages où de la Mettrie s’est efforcé de glorifier en quelque sorte la volupté sous des couleurs poétiques. Schiller dit des licences de la poésie lorsqu’elles sont en opposition avec les lois de la décence : « La nature seule peut les justifier » et « la belle nature seule peut les justifier. » Sous ces