Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/434

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d’esprit et de feu, que l’on nomme si souvent le chef et le général des matérialistes, tandis qu’il eut besoin d’un développement lent et progressif pour arriver à une conception vraiment matérialiste ; bien plus, son esprit resta jusqu’au dernier instant dans un état de fermentation, qui ne lui permit ni de compléter ni d’élucider ses idées. Cette noble nature, qui recélait toutes les vertus et tous les défauts de l’idéaliste, en premier lieu le zèle pour le bonheur de l’humanité, une amitié dévouée et une foi inébranlable au bien, au beau, au vrai, à la perfectibilité du monde, fut entraînée, comme nous l’avons déjà vu, en quelque sorte contre son gré, par le courant de l’époque vers le matérialisme. L’ami et le collègue de Diderot, d’Alembert, avait au contraire déjà dépassé de beaucoup le matérialisme ; car « il se sentait tenté de penser que tout ce que nous voyons n’est qu’une illusion des sens, qu’il n’existe en dehors de nous rien qui corresponde à ce que nous croyons voir. » Il aurait pu devenir pour la France ce que Kant est devenu pour le monde entier, si cette pensée s’était conservée dans son esprit et s’était élevée en quelque sorte au-dessus de la simple expression d’un scepticisme passagers Mais, en faisant ce qu’il fit, il ne devint pas même le « Protagoras » de son temps, ainsi que l’appelait Voltaire en plaisantant. Buffon, réservé et circonspect ; Grimm, à la discrétion diplomatique ; Helvétius, vaniteux et superficiel, tous se rapprochent du matérialisme, sans nous montrer cette fermeté de principes, cet achèvement logique d’une pensée fondamentale qui distinguaient de la Mettrie, malgré toute la frivolité de son style. Nous devrions mentionner Buffon comme naturaliste, traiter surtout plus amplement de Cabanis, le père de la physiologie matérialiste, si notre but ne nous forçait d’entrer promptement sur le terrain décisif, en nous réservant de faire suivre, plus tard seulement, d’un coup d’œil sur les sciences spéciales, l’exposé historique des principales questions dont il s’agit ici. Nous croyons donc avoir