Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/100

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dère la force comme qualité absolue de la matière et qu’ensuite de l’action réciproque des matières avec leurs forces sont déduites toutes les formes des choses. On peut ériger le sensible en principe et rester néanmoins, quant au fondement essentiel du système, aristotélicien, spinoziste et même kantien. Admettons comme fait ce que Kant donne comme conjecture, savoir que le sensible et l’entendement ont dans notre être une racine commune. Faisons ensuite un pas de plus et cherchons les catégories de l’entendement dans la structure des organes de nos sens, nous n’en verrons pas moins subsister la thèse que le sensible lui-même, qui d’après cela constitue tout le monde des phénomènes, n’est que le mode d’après lequel un être, dont nous ne connaissons pas les véritables propriétés, est affecté par d’autres êtres. Dès lors aucun principe logique n’empêche de définir la réalité de telle sorte qu’elle concorde avec le sensible ; mais en même temps on doit maintenir que derrière ce qui est ainsi la réalité pour l’homme, se trouve caché un être plus général qui, conçu par des organes différents, paraît différent en conséquence. On pourrait même conserver les idées rationnelles ainsi que toute la philosophie pratique propre à Kant, fondée sur la conscience de l’être actif ; seulement il faudrait s’y figurer le monde intelligible sous la forme d’un monde des sens. À la place de la morale sobre et calme de Kant, surgirait alors une religion colorée, chaude et vivace, dont le sensible imaginaire ne pourrait, il est vrai, prétendre à la réalité et à l’objectivité du sensible immédiat, mais bien passer, comme les idées de Kant, pour une représentation de la réalité plus élevée et plus générale du monde intelligible.

Dans cette petite excursion sur le domaine des systèmes possibles, nous nous sommes, il est vrai, passablement éloigné de Feuerbach, mais probablement pas plus que Feuerbach lui-même ne s’est éloigné du matérialisme pris dans la stricte acception du mot. Examinons donc