Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/11

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suffisant, se sont pour la plupart rattachés à une conception du monde d’accord, sur des points très-importants, avec celle de Kant.

En réalité, ce n’est nullement au kantisme orthodoxe que nous devons attribuer une importance si prépondérante, moins encore à l’évolution dogmatique par laquelle Schleiden croyait pouvoir abattre le matérialisme, en comparant Kant, Fries et Apelt à Kepler, Newton et Laplace, et en prétendant que les travaux de ces trois philosophes avaient donné aux idées « âme, liberté et Dieu » une fixité semblable à celle du cours des astres (2). Un pareil dogmatisme est d’ailleurs complètement étranger à l’esprit de la Critique de la raison, bien que Kant se félicitât vivement d’avoir soustrait ces mêmes idées aux discussions des écoles, en les reléguant dans le domaine de la philosophie pratique, comme ne pouvant être démontrées ni positivement ni négativement. Mais toute la philosophie pratique est la partie variable et éphémère de la philosophie de Kant, quelque puissante influence qu’elle ait exercée sur ses contemporains. La place seule en est impérissable, non l’édifice que le maître y a construit. Dire que ce terrain (la conscience) est un emplacement favorable à la construction de systèmes de morale, c’est là une affirmation qui ne doit guère être rangée parmi les éléments durables de son système ; et, si l’on fait de la conservation des idées morales le point de départ de son système, il y a une très-grande maladresse à le comparer à Kepler, — sans parler de Newton et de Laplace. Nous devons bien plutôt chercher dans la Critique de la raison théorique toute l’importance de la grande réforme due à l’initiative de Kant ; même pour la morale, c’est là qu’il faut chercher la valeur durable du criticisme : non-seulement il contribua au triomphe d’un système précis des idées morales, mais encore, convenablement développé, il peut répondre aux exigences variables des diverses périodes de culture.

Kant lui-même n’avait guère la pensée de se comparer à